Nous nous souvenons de Nancy Malloy
Nancy Malloy naît le 6 octobre 1945 à Brockville, Ontario, au Canada. En 1968, elle achève sa formation à l’École de soins infirmiers de l’hôpital général de Kingston, la ville voisine. L’année suivante, elle obtient une licence en sciences infirmières à l’Université Queen’s de Kingston.
Après sa licence, Nancy travaille pendant six ans et demi comme formatrice en soins infirmiers au collège d’enseignement général et professionnel (Cégep) Vanier à Montréal. Elle est ensuite pendant deux ans et demi éducatrice à l’hôpital et foyer pour personnes âgées Maïmonide (aujourd’hui le Centre gériatrique Maïmonide Donald Berman), également à Montréal.
En 1979, elle s’installe à Vancouver, où elle devient directrice adjointe des soins infirmiers chirurgicaux à l’hôpital général de la ville. Elle occupe ce poste pendant six ans avant d’exercer la fonction de superviseuse administrative à l’hôpital de l’Université de la Colombie-Britannique.
Nancy est unique en son genre. Elle a une manière d’être bien à elle : rayonnante, passionnée, pleine de vie et d’énergie. Elle est douée de compétences exceptionnelles, a bien les pieds sur terre et ne se prend pas trop au sérieux. De plus, elle fait toujours passer les autres avant elle, qu’il s’agisse de sa famille, de ses amis, de ses collègues ou de ses patients. Dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle, elle est guidée par un ensemble de valeurs fortes axées sur l’aide à autrui. C’est ce qui la pousse à aller de l’avant, toujours prête à relever un nouveau défi.
En 1987, Nancy entre à la Société canadienne de la Croix-Rouge, section de la Colombie-Britannique et du Yukon, où elle travaille comme infirmière et administratrice hospitalière. Elle est chargée de six centres de soins situés dans des régions isolées. La même année, tout en travaillant à plein temps, elle obtient une maîtrise en administration des affaires (MBA) de la City University de Seattle, aux États-Unis. Et elle ne s’arrête pas là. À un point de sa carrière où l’on aurait compris qu’elle lève le pied de l’accélérateur, elle fait tout le contraire et s’inscrit en 1988 au programme de formation des délégués internationaux de la Croix-Rouge. Elle aime voyager, de préférence hors des sentiers battus, et elle veut aider les populations touchées par la guerre.
Deux ans plus tard, détachée par la Croix-Rouge canadienne, Nancy entreprend sa première mission pour le CICR. Elle est affectée en Éthiopie de juin à septembre 1990, comme administratrice médicale basée à Addis-Abeba. Elle est notamment chargée de gérer les fournitures médicales pour trois équipes chirurgicales et de former le personnel local. Bien qu’il s’agisse de sa première affectation internationale, Nancy est tout de suite dans son élément. Elle impressionne son entourage par son professionnalisme à toute épreuve et la façon dont elle s’entend avec tout le monde. Comme elle le note à l’époque, cette première expérience de l’aide d’urgence la conforte dans sa vocation.
L’année suivante, au lendemain de la guerre du Golfe, Nancy est envoyée au Koweït, où elle est affectée à l’opération de logistique et de distribution alimentaire dirigée par la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Entre ses missions pour le CICR et la Fédération, elle reste fidèle à son travail pour la Croix-Rouge canadienne (et à ses deux chats bien-aimés, O’Reilly et Clancy). Début 1993, elle est une nouvelle fois détachée auprès du CICR pour une mission de cinq mois en ex-Yougoslavie. Elle est chargée de gérer les fournitures médicales à Belgrade et d’organiser leur distribution aux différents hôpitaux et établissements médicaux. Là aussi, elle s’intègre parfaitement et fait preuve d’un réel esprit d’initiative. Puis, en 1995, elle est envoyée à Goma, au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), en tant qu’administratrice d’hôpital et de pharmacie.
En septembre 1996, Nancy commence une nouvelle mission pour le CICR en tant qu’administratrice médicale, cette fois-ci dans la république russe de Tchétchénie. Elle est basée dans le village de Novy Atagi, où le CICR a ouvert un hôpital de campagne, à une vingtaine de kilomètres au sud de la capitale, Grozny.
Aux premières heures du 17 décembre 1996, six délégués, dont Nancy qui a alors 51 ans, sont abattus dans leur sommeil par des hommes armés et masqués qui font irruption dans la résidence du CICR voisine de l’hôpital. Comme Nancy, quatre des délégués assassinés avaient été détachés auprès du CICR par leur Société nationale de la Croix-Rouge : Ingebjørg Foss, 42 ans, et Gunnhild Myklebust, 50 ans, toutes deux infirmières de la Croix-Rouge de Norvège ; Hans Elkerbout, 47 ans, constructeur à la Croix-Rouge néerlandaise ; et Sheryl Thayer, 40 ans, infirmière de la Croix-Rouge néo-zélandaise. La sixième victime, l’infirmière-cheffe Fernanda Calado, 49 ans, de nationalité espagnole, travaillait pour le CICR depuis de nombreuses années. Un autre délégué, le Suisse Christophe Hensch, responsable du bureau du CICR à Novy Atagi, est blessé mais survit.
Jean de Courten, directeur des opérations du CICR, qualifie l’attaque d’« assassinat délibéré » et « lâche ». Après la tragédie, le CICR évacue ses 14 autres délégués de Novy Atagi à Naltchik, tandis que le personnel médical local continue à soigner les patients de l’hôpital. Dans l’hommage qu’il prononce pendant une cérémonie commémorative à la cathédrale Saint-Pierre de Genève quelques jours après l’attaque, le président du CICR, Cornelio Sommaruga, s’exprime en ces termes : « Ces six personnes étaient animées par un idéal de solidarité envers les victimes du conflit tchétchène. Elles remplissaient avec un enthousiasme exemplaire la mission originelle de la Croix-Rouge – secourir les blessés –, et elles accomplissaient leur tâche dans le même esprit que les femmes de Solférino : “Tutti fratelli” [Nous sommes tous frères]. »
Nancy a reçu plusieurs distinctions à titre posthume, dont la médaille Florence Nightingale pour ses services exemplaires ainsi que son courage et son dévouement exceptionnels en faveur des blessés et des malades. En septembre 1997, le gouverneur général du Canada, Roméo LeBlanc, lui a décerné la Médaille du service méritoire en reconnaissance de son service et de son sacrifice. Quelques années plus tard, en juin 2001, un Monument commémoratif de l’aide humanitaire canadienne a été dévoilé au parc des Chutes-Rideau, à Ottawa, à sa mémoire et à celle d’un autre travailleur humanitaire, Tim Stone. La même année, Nancy était aussi décorée à titre posthume de l’Ordre de la Croix-Rouge. En 2015, ses amis et camarades d’études ont honoré sa mémoire en créant une bourse, la Nancy Malloy Memorial Award, administrée par l’École de soins infirmiers de l’Université Queen’s.
Nancy était douée d’une vivacité et d’une joie de vivre qui ne la quittaient jamais, et qu’on ne pouvait manquer de ressentir en sa présence. Elle aimait vraiment ce qu’elle faisait : son travail d’infirmière et d’humanitaire, aider les autres. C’était tout pour elle.
Le CICR en
Russie, 1996
Pour le CICR, comme pour d’autres organisations internationales humanitaires actives dans le Nord-Caucase, l’année 1996 est marquée par de nombreux problèmes de sécurité. Toutefois, rien ne laisse présager la tragédie qui va frapper l’institution : dans la nuit du 16 au 17 décembre, quatre mois après la conclusion d’un cessez-le-feu entre les Russes et les Tchétchènes, six délégués qui travaillent à l’hôpital de campagne de Novy Atagi, dont Nancy, sont assassinés de sang-froid.
L’année a débuté par une reprise des combats en Tchétchénie entre les troupes fédérales russes et les séparatistes tchétchènes, obligeant les civils à fuir par vagues successives vers les républiques voisines. Ceux qui ne fuient pas se retrouvent bloqués chez eux pendant des semaines par des bombardements continus. En mai, sous les auspices de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), des représentants du gouvernement fédéral russe, du gouvernement tchétchène et des séparatistes se rencontrent à Moscou et signent un accord préliminaire de cessez-le-feu. La tension ne tarde toutefois pas à monter une fois de plus pour aboutir, en juillet, à une offensive de grande envergure des forces fédérales. Pendant trois semaines, les villages du sud de la Tchétchénie subissent de violentes attaques, tandis qu’à Grozny des cibles militaires et des structures civiles essuient des tirs presque incessants. Le 6 août, les forces séparatistes lancent une attaque contre Grozny et prennent le contrôle de la ville après deux semaines de combats acharnés. Les forces fédérales lancent un ultimatum annonçant leur intention de donner l’assaut à la capitale, à moins que les séparatistes ne se retirent. Environ 200 000 civils fuient la ville.
Le conflit a des effets catastrophiques sur les services publics dans de nombreuses localités, laissant la population pendant de longues périodes sans eau potable, ni électricité ni assainissement adéquat. Comme l’année précédente, les habitants de certains secteurs de Grozny dépendent entièrement du CICR pour leur approvisionnement en eau. Tous les hôpitaux de la ville ont été détruits ou gravement endommagés au cours des combats, d’où la décision du CICR d’ouvrir un hôpital de campagne à Novy Atagi.
En partie grâce aux efforts diplomatiques de la communauté internationale, les négociations reprennent et aboutissent à un cessez-le-feu conclu à Novy Atagi le 22 août. Le 31 août, les parties signent à Khassaviourt, au Daghestan, un accord prévoyant le retrait des troupes fédérales, le règlement de la question du statut de la république de Tchétchénie dans les cinq ans, et la création d’une commission conjointe de mise en application de l’accord. Si des divergences persistent, les combats, eux, cessent. En novembre, le président russe décrète le retrait de toutes les troupes fédérales, ouvrant ainsi la voie à la tenue d’élections en Tchétchénie au début de l’année suivante.
Tout au long de l’année, la sécurité reste une préoccupation majeure pour le CICR, que la dangerosité de la situation amène à réduire sa présence et à renforcer ses mesures de sécurité. En juillet, à la suite d’un énième incident, le délégué général, accompagné du chef de la délégation de Moscou et du chef de la mission du CICR dans le Nord-Caucase, a une entrevue avec le ministre russe de l’Intérieur à Moscou. L’objectif est d’obtenir son appui afin d’éviter de nouveaux incidents à l’avenir. En octobre, le délégué général nouvellement nommé rencontre le président de la république de Tchétchénie à Novy Atagi. Les problèmes de sécurité sont une fois de plus à l’ordre du jour de la réunion. De nouveaux incidents visant des employés du CICR et d’autres organisations se produisent en novembre, essentiellement des actes de banditisme. Des mesures de sécurité supplémentaires sont mises en place, mais en vain. Les assassinats du 17 décembre contraignent le CICR à suspendre tous les programmes nécessitant la présence de personnel international en Tchétchénie ; seules quelques activités se poursuivent, menées par les comités locaux de la Croix-Rouge et le ministère de la Santé.
1996 est une année particulièrement tragique pour le CICR. Quelques mois plus tôt, une attaque brutale à Mugina, au Burundi, avait déjà coûté la vie à trois délégués – Cédric Martin, Reto Neuenschwander et Juan Ruffino.