Richard Heider est né à Zurich (Suisse) le 19 août 1912. Durant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il vit à Alexandrie (Égypte), il est sollicité par le CICR au début de l’année 1942 pour effectuer une mission ponctuelle : serait-il disposé à accompagner un navire qui s’apprête à quitter l’Égypte pour la Grèce avec un chargement de denrées alimentaires urgentes ? La Grèce est alors occupée par l’Allemagne et l’Italie, qui exigent, pour autoriser le voyage, la présence à bord d’un convoyeur ressortissant de la Suisse, pays neutre. La mission éloignerait Richard de son travail à l’usine de coton Helvetia — et de sa conjointe, épousée trois ans auparavant — pendant plusieurs semaines.
Le plan initial prévoit que Richard embarque sur le Radmanso, un bateau à vapeur chargé de 7000 tonnes de blé à acheminer jusqu’au port du Pirée. Or, finalement la présence d’un convoyeur suisse ne s’avère pas nécessaire, et le navire effectue le trajet prévu au mois de mars. Une autre expédition du CICR est prévue pour la fin du mois de mai : le Stureborg, un bateau à vapeur battant pavillon suédois, doit transporter quelque 2000 tonnes de blé d’Égypte en Grèce. Il semble d’abord, au début du mois d’avril, que le Stureborg n’ait pas besoin d’un représentant de la Suisse à son bord, ni d’arborer l’emblème de la croix rouge. Toutefois, le consulat italien insiste, afin de délivrer le sauf-conduit, pour que le navire arbore l’emblème ; le consulat allemand, quant à lui, exige à la fois l’emblème et la présence d’un représentant suisse à bord.
Le CICR accepte ces conditions et Richard consent à faire office de convoyeur. Ses fonctions comprennent la vérification de la conformité des marchandises embarquées avec le contenu de la lettre de transport et l’application de certaines mesures de sécurité. La date du départ manque d’être reportée à cause de questions soulevées par les belligérants concernant l’itinéraire prévu. Le 20 mai, cependant, Richard se rend à Haïfa, en Palestine, où le Stureborg a fait escale sur sa route entre Alexandrie et le Pirée. Il embarque à bord du navire, qui appareille le 22 mai à 6 heures du matin. Le navire accoste au Pirée le 28 mai. En raison de l’occupation, Richard est tenu de rester à bord, mais il est émerveillé par la foule enthousiaste qui accueille le bateau.
Alors que le navire est à quai au Pirée, Richard écrit à son père. Dans sa lettre, achevée juste avant que le Stureborg ne reparte pour Haïfa, il explique qu’un délégué du CICR au Pirée lui a demandé s’il serait disposé à rester en Grèce afin d’y travailler pour le CICR. On ignore ce qu’il pense de cette possibilité, mais on sait qu’en faisant ses adieux à ses collègues alors que le navire s’apprête au départ, il leur lance, animé par un enthousiasme juvénile : « Nous serons de retour dans un mois ! »
Le Stureborg quitte le Pirée le 5 juin, avec 21 personnes à son bord, l’emblème de la croix rouge toujours clairement visible sur la coque et le pont. Pendant quatre jours, le bateau suit sa route, l’opérateur radio signalant trois fois par jour sa position à Athènes. Au matin du 9 juin, deux chasseurs italiens Caproni apparaissent dans le ciel et s’approchent du bateau. L’équipage communique le nom du navire et son rattachement à la Croix-Rouge. Les pilotes ne tiennent pas compte de ces informations et lâchent deux torpilles aériennes. L’une manque sa cible, mais la deuxième frappe le navire en plein milieu, le brisant en deux et le coulant presque instantanément. Le Stureborg n’était alors qu’à 27 heures de navigation de Haïfa.
Onze des membres d’équipage, dont Richard, qui était âgé de 29 ans, meurent sur le coup. Les dix survivants parviennent à récupérer un radeau de sauvetage et une voile parmi les débris du navire, ainsi qu’un peu de nourriture et d’eau. Après 19 jours de dérive, le radeau échoue sur la côte près de Gaza, mais il ne transporte qu’un seul survivant. Les neuf autres hommes ont succombé aux privations et aux éléments, sous l’effet de la chaleur torride pendant la journée et des nuits glaciales.
L’attitude de Richard, disposé à s’engager sur de nouvelles voies, à mettre sa vie personnelle entre parenthèses et à contribuer, dans la mesure de ses moyens, au bien général, est un exemple remarquable de l’esprit d’humanité qui prévaut en période de troubles et de conflit.