Julio Delgado voit le jour à Bogota, en Colombie, le 21 octobre 1946. De 1954 à 1965, il fait ses écoles à l’Institut de la Salle de cette même ville, puis passe une année dans une école de cadets de la marine à Carthagène, où il obtient son diplôme d’instruction secondaire. De 1967 à 1969, Julio travaille dans la ferme que sa famille exploite à San Joaquín et qui produit de la canne à sucre, du café et du lait. L’année suivante, il part tenter sa chance en Europe et trouve rapidement un travail comme opérateur de chaudière dans une brasserie lilloise, en France. Il y restera deux ans. En 1972, il décroche un job comme ouvrier mécanicien dans la salle des machines d’un pétrolier en partance de Trieste (Italie). Les huit années qui suivront, il les passera en tant que matelot de la marine marchande, à sillonner la mer du Nord et le Rhin.
C’est en janvier 1981 que Julio se tourne pour la première fois vers le monde de l’humanitaire. Engagé par l’organisation Action internationale contre la faim (AICF), il passe cinq ans à Karamoja, dans le nord-est de l’Ouganda. La première année, il est chargé de contrôler la qualité des denrées distribuées dans le cadre de l’assistance alimentaire. Puis, quatre années durant, il dirige un projet de tissage mené en collaboration avec des femmes de la tribu Karamojong. En 1989, il rejoint le Programme alimentaire mondial (PAM) en tant que gestionnaire des vivres basé à Entebbe, en Ouganda. Sur place, il prend part à l’opération Survie au Soudan, lancée par la communauté internationale pour répondre à la crise humanitaire provoquée par la guerre civile qui fait rage au Soudan. En janvier de l’année suivante, il s’engage auprès de l’UNICEF en tant que coordonnateur logistique, avec la responsabilité d’organiser les convois d’aide vers le sud du Soudan.
En juillet 1991, Julio part pour la première d’une série de plusieurs missions pour le CICR, qui s’étaleront sur une dizaine d’années. Envoyé comme convoyeur à Beledweyne, en Somalie, il a pour tâche d’orchestrer le déchargement des navires acheminant l’assistance vers le pays, à un moment où la guerre civile bat son plein. En avril 1993, toujours à Beledweyne, il reprend le poste d’administrateur des secours et se voit confier la responsabilité de gérer les entrepôts et la distribution de l’assistance. Une fonction qu’il assumera pendant plusieurs années, toujours au service du CICR, au Soudan, au Kenya et à Djibouti. En mai 1994, il passe un mois à Mwanza, sur les rives du lac Victoria, dans le nord de la Tanzanie, où il participe à la construction d’une base de soutien logistique pour les réfugiés rwandais.
Du fait même des convois qu’il a à gérer, Julio est toujours sur les quatre chemins. Bosseur, fiable à cent pour cent et exigeant, il tient à ce que le travail soit fait, et bien fait. Il attache une grande importance à la qualité dans tout ce qu’il entreprend, que ce soit dans sa vie professionnelle, ses relations personnelles ou encore dans le cadre de son engagement humanitaire.
En novembre 1994, Julio effectue une mission pour la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui l’affecte à son unité de soutien aux opérations en Afrique de l’Est, à Nairobi, en qualité de délégué logisticien. Une année plus tard, il est de retour au CICR, où il a la tâche exigeante de gérer les convois d’assistance dans toute l’Afrique de l’Est, à destination du Kenya, de l’Ouganda, de la Tanzanie, du Zaïre, du Rwanda, du Burundi et de la Somalie.
En mai 1996, il part pour Bagdad, en Irak, où il s’occupera des entrepôts et des questions de logistique, une nouvelle fois pour le compte de la Fédération internationale. En janvier de l’année suivante, il réintègre le CICR, qui l’envoie en Afghanistan en tant qu’administrateur des secours, avec sensiblement les mêmes attributions qui étaient les siennes en Irak. Il travaillera d’abord à partir de Kaboul, puis d’Herat. En juin 1998, il entame un nouveau mandat pour le PAM, qui l’envoie à Nairobi en qualité de contrôleur des denrées alimentaires.
En avril 1999, il est de retour au CICR comme « délégué secours volant pour le Soudan ». Basé à Lokichokio, dans le nord-ouest du Kenya, il passe le gros de son temps au Soudan à soutenir des projets dans les domaines de l’agriculture et de la nutrition. Si les conditions de travail sont extrêmement dures, rien ne semble toutefois pouvoir entamer son énergie débordante ni sa bonne humeur contagieuse. Beaucoup diront de lui qu’il était « un collègue absolument exceptionnel », quelqu’un qui veillait en permanence sur les membres de son équipe et qui était d’une gentillesse infinie.
En octobre de l’année suivante, Julio est affecté à Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo, en tant que délégué secours spécialisé dans la sécurité économique. Le matin du 26 avril 2001, Julio et cinq autres collaborateurs du CICR prennent la route à bord de deux véhicules clairement marqués de l’emblème de la croix rouge. Partis de Bunia, ils se dirigent vers Fataki, dans la province de l’Ituri, où ils doivent évaluer les besoins des postes de santé de la région ainsi que ceux des personnes déplacées qui y ont trouvé refuge. Ils ont en outre l’intention de distribuer des messages Croix-Rouge. Une mission qu’ils n’auront malheureusement jamais la chance d’accomplir : tous les six sont retrouvés assassinés aux environs de la ville de Djugu. Julio avait 54 ans.
Parmi ses compagnons d’infortune se trouvaient Rita Fox-Stucki, une infirmière bernoise de 36 ans, Véronique Saro, une collaboratrice chargée des activités de santé de 33 ans, Unen Ufoirworth, un collaborateur chargé des activités d’assistance de 29 ans, ainsi qu’Aduwe Boboli et Jean Molokabonge, tous deux chauffeurs, âgés respectivement de 39 et 56 ans. Rita mise à part, ils étaient tous de nationalité congolaise.
Dans son allocution prononcée lors de la cérémonie organisée en leur mémoire, le président du CICR, Jakob Kellenberger, déclare : « La mort de nos six collègues est un immense “coup dur” pour l’institution. Ils incarnaient l’image de ce CICR réputé comme étant le lieu où des individus de nationalités, de cultures et d’horizons différents unissent leurs forces dans la poursuite d’un même idéal, celui de venir en aide à leurs semblables. Un peu partout dans le monde, vous trouverez des personnes vouant une profonde reconnaissance à ces femmes et ces hommes “venus de loin” pour apporter assistance et protection à ceux qui en ont besoin. Si certains viennent effectivement de loin, beaucoup d’autres sont issus des régions ou des pays mêmes où ils œuvrent au service de leur communauté. Et c’est de la fusion de leurs énergies et de la confiance qu’ils nourrissent les uns pour les autres que nous tirons notre force. Aujourd’hui, nous rendons hommage à quatre ressortissants congolais, à une Suissesse et à un Colombien qui portaient haut ces valeurs communes. »
Julio en est le meilleur exemple, lui qui a consacré 20 années de sa vie à alléger les souffrances d’hommes, de femmes et d’enfants, aux quatre coins du monde. Lui qui, en dépit de l’extrême dureté de certains des contextes où il a travaillé, n’a cessé de faire preuve d’un enthousiasme, d’un engagement et d’un courage exemplaires.