Nous nous souvenons de Ferenc Mayer
Ferenc Mayer voit le jour le 21 août 1951 à Zalaegerszeg, en Hongrie. Par suite des événements politiques qui secouent le pays en 1956, lui et sa famille quittent la Hongrie et s’installent en Suisse, à Lausanne. En 1968, après avoir obtenu son certificat de maturité au Collège Champittet de Pully, Ferenc se lance dans des études de médecine à l’Université de Lausanne. Des études qu’il accomplira sur une dizaine d’années, car il mettra son cursus entre parenthèses pendant deux ans pour se consacrer au sport de compétition.
Ses études terminées, Ferenc entame une série de stages pratiques qui le conduiront dans plusieurs hôpitaux et cliniques de la côte lémanique entre Genève et Lausanne, entre autres l’Hôpital de Morges, l’Hôpital universitaire de Lausanne et la Clinique de Longeraie de cette même ville. Il y exercera tout à tour dans les départements de gynécologie et obstétrique, traumatologie, chirurgie, médecine générale, ophtalmologie et otorhinolaryngologie. En janvier 1984, alors qu’il travaille au Centre médical des Eaux-Vives de Genève, il postule au CICR. Après plus de cinq ans d’internat dans le milieu hospitalier, il ressent soudainement le besoin de changer d’air et espère décrocher une courte mission de trois à six mois sur le terrain. Sa candidature est retenue et, au terme de quelques semaines de service militaire, il rejoint les rangs de l’institution en mars de la même année. Pour Ferenc, qui est alors loin de s’en douter, c’est le début d’une longue aventure au sein de la grande famille de la Croix-Rouge.
Très vite, Ferenc se révèle être un employé déterminé et débordant d’énergie. Pour preuve, au cours de sa carrière de 17 ans au CICR, il n’effectuera pas moins de 18 missions de longue durée, qui le mèneront, en qualité de médecin ou de coordinateur médical, à Beyrouth, Téhéran (deux fois), Manille (quatre fois), Managua, Paramaribo, San Salvador, Kaboul, Pretoria (trois fois), Bagdad, Djakarta et Moscou, et qui seront entrecoupées de séjours ponctuels au siège de Genève.
Encore plus révélatrice de son dynamisme sans borne est la liste détaillée des déplacements professionnels qu’il effectuera au cours de ses 13 premières années au CICR, durant lesquelles il comptabilisera plus d’une soixantaine de missions. Des missions souvent de courte durée, de quelques jours à quelques semaines, qu’il accomplira la plupart du temps au pied levé, à partir du lieu où il est alors en poste.
De mars 1984 à février 1997, il sillonnera ainsi le monde entre, dans le désordre, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique du Sud, l’Afrique, la Péninsule arabique, l’Europe de l’Est et de l’Ouest, l’Asie centrale, les Caraïbes, l’Amérique centrale, le Caucase et l’Amérique du Nord. Cette liste non exhaustive émane directement du journal de bord que Ferenc tient et dans lequel il consigne, jour après jour et de manière détaillée, son vécu en tant que médecin de terrain responsable des programmes de santé, mais aussi ses expériences dans des domaines très variés comme les visites de prisons, les prises d’otages, les camps de réfugiés, les problèmes de sécurité, les prisonniers de guerre et les détenus politiques, les négociations, le rapatriement des restes humains ou encore la gestion de l’approvisionnement et des stocks.
L’évaluation de ses performances pour l’année 2000 – où il est en poste à la délégation régionale de Pretoria depuis mars 1999, mais travaille aussi accessoirement un mois et demi à partir de la délégation du CICR à Moscou –, pour prendre un exemple au hasard, reflète à en donner parfois le tournis l’extrême dynamisme et la perpétuelle mobilité de Ferenc. En Afrique du Sud, il s’occupe principalement de pays qui ne sont normalement pas couverts par la délégation de Pretoria. Le Tchad, par exemple, où il organise la fourniture de soins de santé, participe à des visites de prisons, contribue à la mise au point et à l’élaboration de prothèses destinées à des amputés de guerre, effectue le suivi médical de personnes grièvement blessées et surveille de près l’état de santé de prisonniers appartenant à un groupe rebelle. La Namibie, où il participe à des visites de personnes détenues en lien avec le conflit qui agite alors la bande de Caprivi et celui qui oppose le pays au sud de l’Angola, et où il évalue aussi les besoins en matière de soins orthopédiques et met en place un programme de fourniture de prothèses en faveur des victimes de mines. En parallèle, il mène des activités dans certains des pays traditionnellement couverts par la délégation régionale de Pretoria. Il se rend notamment aux Comores, où il organise un module de formation sur le choléra à l’intention des secouristes du Croissant-Rouge comorien. Il visite également le Lesotho, où il participe à des visites de lieux de détention. À Moscou, enfin, pendant la mission intercalaire de six semaines qu’il y effectue, il accompagne une équipe de délégués qui visitent des détenus tchétchènes en Russie et en Tchétchénie. Bien qu’incomplet, ce palmarès d’activités tous azimuts parle de lui-même.
Ce rythme effréné est toutefois stoppé net le 18 décembre 2001, lorsque, quelques mois avant la fin prévue de son affectation, Ferenc disparaît après avoir quitté son bureau de Pretoria. C’est la dernière fois qu’il est aperçu. Sa voiture abandonnée sera retrouvée quelques jours plus tard à Johannesburg. Il avait 50 ans. Les circonstances entourant sa disparition restent un mystère : à ce jour, on ignore toujours tout de ce qu’il est advenu de lui.
L’enthousiasme débordant de Ferenc pour la cause humanitaire avait fait de lui une figure légendaire dans les rangs du CICR. Outre ses compétences dans le domaine médical, tout le monde s’accordait à reconnaître son professionnalisme, ses capacités d’adaptation et sa détermination à toute épreuve et dans toutes les situations, aussi précaires, voire carrément dangereuses, qu’aient pu être les conditions dans lesquelles il donnait sans compter de sa personne. Autant de qualités qui ne faisaient qu’ajouter à son engagement de tous les instants en faveur des personnes et des communautés les plus vulnérables.
Le CICR en
South Africa, 2001
En 2001, l’année où il disparaît, Ferenc est en poste à la délégation régionale de Pretoria, à partir de laquelle le CICR mène des activités aux Comores, au Lesotho, à Madagascar, à Maurice, aux Seychelles, en Afrique du Sud et au Swaziland, aujourd’hui l’Eswatini. Il n’y a alors pas de conflit majeur dans la région, bien que la violence et le crime organisé y soient omniprésents. Dans ce contexte de relative tranquillité, les équipes du CICR suivent la situation humanitaire qui prévaut dans les différents pays couverts par la délégation, menant des tâches axées avant tout sur la promotion de l’intégration du droit international humanitaire (DIH) dans le droit national et l’instruction des forces militaires et de police, ainsi que sur le rétablissement des liens entre membres de familles dispersées par des situations de violence.
Les délégués basés à Pretoria soutiennent en outre les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de la région dans leurs efforts pour sensibiliser différents publics au DIH, renforcer les activités de recherche de personnes disparues et se préparer à d’éventuelles situations d’urgence. La région n’est toutefois pas complètement exempte de tensions politiques, avec des élections provinciales très disputées à Madagascar en décembre 2001, et des élections reportées début 2002 au Lesotho. Les Comores connaissent elles aussi quelques troubles en 2001, lorsqu’une île aux velléités séparatistes revendique son indépendance, tandis qu’au Swaziland une crise politique survenue à la fin de l’année 2000 se solde par le renforcement de l’interdiction des activités et des partis politiques.
À Moscou, où Ferenc est appelé en renfort par la délégation régionale, qui couvre la Fédération de Russie et d’autres pays de la région, la situation est en revanche plus dynamique. En plus de promouvoir le DIH dans les rangs des représentants de l’État, des militaires et de la société civile, les équipes du CICR à l’œuvre sur place s’attachent aussi à répondre aux besoins des civils touchés par les effets des conflits qui sévissent dans le sud de la Russie et le nord du Caucase, en Tchétchénie tout particulièrement. Des vivres et des secours non alimentaires, comme des assortiments d’articles d’hygiène et ménagers, sont ainsi distribués aux civils, notamment aux personnes déplacées en Ingouchie principalement, mais aussi au Daghestan et en Ossétie du Nord. Des civils qui reçoivent également des médicaments de base et bénéficient de consultations médicales. En parallèle, l’équipe du CICR spécialisée dans la recherche de personnes travaille main dans la main avec la Société de la Croix-Rouge russe afin de permettre aux habitants de ces régions de rétablir le contact avec leurs proches ayant fui vers la Russie ou vers d’autres pays et dont ils sont sans nouvelles. Quant aux délégués de l’institution actifs dans le domaine de la détention, ils sont bien affairés eux aussi : en 2001, ils effectueront pas moins de 76 visites dans 37 lieux de détention relevant des ministères de la Justice et de l’Intérieur, dont 12 centres de détention situés en Tchétchénie. Le but de ces visites menées avec le soutien de délégués comme Ferenc étant d’évaluer les conditions dans lesquelles les personnes privées de liberté sont détenues et de s’assurer qu’elles sont traitées humainement.
Souvenirs
On the Maroni river, the only way to reach populations who are living in scattered communities on this territory. Meeting a guerilla leader.
On the right, Ferenc Mayer and in the background the boatman Boos-Boso