Ingebjørg
Foss
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Russie

Tu te battais contre l’injustice, la lâcheté, les dérobades – l’absurdité du monde. Au Nicaragua, en Afghanistan et ici, en Norvège. Tu abandonnais rarement une cause sans lutter.

Ses amies Aud Nordal et Eva Gundersby

Nous nous souvenons de Ingebjørg Foss

Ingebjørg Foss naît le 3 mars 1954 à Gjøvik, en Norvège. Elle fait sa scolarité secondaire de 1969 à 1973 dans la ville de Molde, où elle exerce aussi une activité à temps partiel de travailleuse sociale dans un service de psychiatrie. Elle étudie ensuite les sciences politiques pendant deux ans à l’Oppland District College de Lillehammer. En 1975, elle s’installe à Oslo pour suivre les cours de l’École de soins infirmiers d’Ullevål, dont elle sort diplômée trois ans plus tard. Son premier emploi est au service des urgences de l’hôpital général d’Ullevål. Elle travaille également à temps partiel en tant qu’infirmière à la prison d’Oslo.

 

De 1982 à 1984, Ingebjørg étudie à l’École d’anesthésiologie d’Oslo. Elle obtient ensuite un poste d’infirmière responsable au département d’anesthésiologie de l’Hôpital norvégien du radium (NRH). Elle passe plusieurs années dans cet établissement, où elle assume les fonctions de conseillère en procédures de soins infirmiers avant d’être nommée infirmière-cheffe du département d’anesthésiologie et de l’unité de soins intensifs.

 

Ingebjørg est convaincue que les actes en disent plus que les paroles. Altruiste et courageuse, elle fait des choix de vie fondés sur son propre code moral et ne détourne jamais le regard face à l’injustice. En d’autres termes, elle lutte invariablement aux côtés des plus faibles et des plus démunis, des personnes qui souffrent ou ont besoin de soutien, où qu’elles soient. Son dévouement est presque sans limites. Ingebjørg est aussi une amie loyale et solidaire, toujours prête à aider ou à donner un conseil. Elle est douée d’un sens de l’humour aussi vif que drôle, et a une passion pour le théâtre. Elle fait d’ailleurs elle-même partie d’une troupe qui joue du Bertolt Brecht.

 

En 1989, elle quitte la Norvège pour servir dans le Peace Corps (une organisation humanitaire américaine) au Nicaragua, où elle passe trois ans. En 1990, elle collabore au Programme national nicaraguayen d’oncologie en tant que conseillère basée dans la capitale, Managua. Le poste est financé par l’Agence norvégienne de coopération pour le développement (la Norad). L’année suivante, elle travaille comme infirmière anesthésiste à l’hôpital régional de Juigalpa, environ130 kilomètres à l’est de Managua. Là encore, il s’agit d’un poste financé par la Norad.

 

Ingebjørg retourne en Norvège en 1992 pour assumer la fonction de vice-directrice des soins infirmiers au NRH. En 1993, elle étudie pendant un an les questions d’environnement et de développement à l’Université d’Oslo, et suit en parallèle une formation à l’École de soins infirmiers de bloc opératoire (1993-1995).

 

La première mission d’Ingebjørg pour le CICR a lieu au printemps 1995. Détachée par la Croix-Rouge de Norvège, elle est affectée en tant qu’infirmière en chirurgie à l’hôpital de Quetta, au Pakistan. Bien qu’elle n’y passe qu’un mois, elle s’adapte rapidement et sans heurt au mode de vie CICR. Pour sa deuxième affectation, début décembre 1996, le CICR l’envoie dans la république russe de Tchétchénie, cette fois encore en tant qu’infirmière en chirurgie. Elle est basée dans le village de Novy Atagi, où l’organisation a ouvert un hôpital de campagne à une vingtaine de kilomètres au sud de la capitale, Grozny.

 

Aux premières heures du 17 décembre 1996, six délégués, dont Ingebjørg qui a alors 42 ans, sont abattus dans leur sommeil par des hommes armés et masqués qui font irruption dans la résidence du CICR voisine de l’hôpital. Comme Ingebjørg, quatre des délégués assassinés avaient été détachés auprès du CICR par leur Société nationale de la Croix-Rouge : Gunnhild Myklebust, 50 ans, elle aussi infirmière de la Croix-Rouge de Norvège ; Hans Elkerbout, 47 ans, constructeur à la Croix-Rouge néerlandaise ; Nancy Malloy, 51 ans, administratrice médicale de la Croix-Rouge canadienne ; et Sheryl Thayer, 40 ans, infirmière de la Croix-Rouge néo-zélandaise. La sixième victime, l’infirmière-cheffe Fernanda Calado, 49 ans, de nationalité espagnole, travaillait pour le CICR depuis de nombreuses années. Un autre délégué, le Suisse Christophe Hensch, responsable du bureau du CICR à Novy Atagi, est blessé mais survit.

 

Jean de Courten, directeur des opérations du CICR, qualifie l’attaque d’« assassinat délibéré » et « lâche ». Après la tragédie, le CICR évacue ses 14 autres délégués de Novy Atagi à Naltchik, tandis que le personnel médical local continue à soigner les patients de l’hôpital. Dans l’hommage qu’il prononce pendant une cérémonie commémorative à la cathédrale Saint-Pierre de Genève quelques jours après l’attaque, le président du CICR, Cornelio Sommaruga, s’exprime en ces termes : « Ces six personnes étaient animées par un idéal de solidarité envers les victimes du conflit tchétchène. Elles remplissaient avec un enthousiasme exemplaire la mission originelle de la Croix-Rouge – secourir les blessés – et elles accomplissaient leur tâche dans le même esprit que les femmes de Solférino : “Tutti fratelli“ [Nous sommes tous frères]. »

 

Ingebjørg était une personne fidèle à ses idéaux et à ses convictions, qui n’avait jamais peur d’agir et se portait régulièrement volontaire dans des situations où d’autres auraient pu hésiter. Profondément empathique, elle était toujours du côté des plus vulnérables.

Le CICR en
Russie, 1996

Pour le CICR, comme pour d’autres organisations internationales humanitaires actives dans le Nord-Caucase, l’année 1996 est marquée par de nombreux problèmes de sécurité. Toutefois, rien ne laisse présager la tragédie qui va frapper l’institution : dans la nuit du 16 au 17 décembre, quatre mois après la conclusion d’un cessez-le-feu entre les Russes et les Tchétchènes, six délégués qui travaillent à l’hôpital de campagne de Novy Atagi, dont Ingebjørg, sont assassinés de sang-froid.

 

L’année a débuté par une reprise des combats en Tchétchénie entre les troupes fédérales russes et les séparatistes tchétchènes, obligeant les civils à fuir par vagues successives vers les républiques voisines. Ceux qui ne fuient pas se retrouvent bloqués chez eux pendant des semaines par des bombardements continus. En mai, sous les auspices de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), des représentants du gouvernement fédéral russe, du gouvernement tchétchène et des séparatistes se rencontrent à Moscou et signent un accord préliminaire de cessez-le-feu. La tension ne tarde toutefois pas à monter une fois de plus pour aboutir, en juillet, à une offensive de grande envergure des forces fédérales. Pendant trois semaines, les villages du sud de la Tchétchénie subissent de violentes attaques, tandis qu’à Grozny des cibles militaires et des structures civiles essuient des tirs presque incessants. Le 6 août, les forces séparatistes lancent une attaque contre Grozny et prennent le contrôle de la ville après deux semaines de combats acharnés. Les forces fédérales lancent un ultimatum annonçant leur intention de donner l’assaut à la capitale, à moins que les séparatistes ne se retirent. Environ 200 000 civils fuient la ville.

 

Le conflit a des effets catastrophiques sur les services publics dans de nombreuses localités, laissant la population pendant de longues périodes sans eau potable, ni électricité ni assainissement adéquat. Comme l’année précédente, les habitants de certains secteurs de Grozny dépendent entièrement du CICR pour leur approvisionnement en eau. Tous les hôpitaux de la ville ont été détruits ou gravement endommagés au cours des combats, d’où la décision du CICR d’ouvrir un hôpital de campagne à Novy Atagi.

 

En partie grâce aux efforts diplomatiques de la communauté internationale, les négociations reprennent et aboutissent à un cessez-le-feu conclu à Novy Atagi le 22 août. Le 31 août, les parties signent à Khassaviourt, au Daghestan, un accord prévoyant le retrait des troupes fédérales, le règlement de la question du statut de la république de Tchétchénie dans les cinq ans, et la création d’une commission conjointe de mise en application de l’accord. Si des divergences persistent, les combats, eux, cessent. En novembre, le président russe décrète le retrait de toutes les troupes fédérales, ouvrant ainsi la voie à la tenue d’élections en Tchétchénie au début de l’année suivante.

 

Tout au long de l’année, la sécurité reste une préoccupation majeure pour le CICR, que la dangerosité de la situation amène à réduire sa présence et à renforcer ses mesures de sécurité. En juillet, à la suite d’un énième incident, le délégué général, accompagné du chef de la délégation de Moscou et du chef de la mission du CICR dans le Nord-Caucase, a une entrevue avec le ministre russe de l’Intérieur à Moscou. L’objectif est d’obtenir son appui afin d’éviter de nouveaux incidents à l’avenir. En octobre, le délégué général nouvellement nommé rencontre le président de la république de Tchétchénie à Novy Atagi. Les problèmes de sécurité sont une fois de plus à l’ordre du jour de la réunion. De nouveaux incidents visant des employés du CICR et d’autres organisations se produisent en novembre, essentiellement des actes de banditisme. Des mesures de sécurité supplémentaires sont mises en place, mais en vain. Les assassinats du 17 décembre contraignent le CICR à suspendre tous les programmes nécessitant la présence de personnel international en Tchétchénie ; seules quelques activités se poursuivent, menées par les comités locaux de la Croix-Rouge et le ministère de la Santé.

 

1996 est une année particulièrement tragique pour le CICR. Quelques mois plus tôt, une attaque brutale à Mugina, au Burundi, avait déjà coûté la vie à trois délégués – Cédric Martin, Reto Neuenschwander et Juan Ruffino.

Souvenirs

Novye Atagi December 1996 - departure of a team to Nalchik
1 mai 2023
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