Vatche
Arslanian
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Irak

Mon travail est très gratifiant. Quoi de plus épanouissant, en effet, que d’offrir un sourire à l’un de ses semblables et de lui rendre sa dignité ? C’est de loin la plus belle récompense que vous puissiez recevoir, bien plus belle que tout ce que la richesse, le pouvoir et le prestige réunis sont capables de vous procurer.

- Vatche Arslanian

Nous nous souvenons de Vatche Arslanian

Vatche Arslanian voit le jour à Alep, en Syrie, le 28 mai 1955. De 1960 à 1974, il fait ses classes au Collège Champagnat dirigé par les Frères maristes, avant d’émigrer au Canada en 1975. Au début, il vit chez un oncle à Vancouver, puis tente sa chance à Toronto et à Montréal. Il s’installe ensuite dans la petite ville d’Oromocto, dans le Nouveau-Brunswick, et apprend tour à tour l’anglais et le français.

 

Les premières années que Vatche passe au Canada ne sont pas de tout repos. Afin de pouvoir financer ses études à l’université et faire venir des membres de sa famille restés en Syrie, il travaille successivement comme plongeur, chauffeur de taxi et agent de sécurité. Il faut dire que Vatche n’est pas du genre à se tourner les pouces en attendant de voir ce que la vie va bien lui réserver. La vie, lui, il l’empoigne à bras le corps.

 

De 1979 à 1983, il étudie les sciences politiques à l’Université de Montréal. Parallèlement, il s’engage comme réserviste dans l’armée canadienne en tant qu’artilleur. Ses études terminées, il s’enrôle à temps plein dans les Forces armées canadiennes, où il servira pendant plus de dix ans comme officier d’artillerie, finissant par atteindre le grade de capitaine.

 

En 1992, tandis qu’il est encore dans les rangs de l’armée, Vatche est élu au conseil municipal d’Oromocto. Six ans plus tard, il accède au poste d’adjoint au maire de la ville, après avoir obtenu, en 1994, un certificat en administration municipale du Hanson College. Très engagé dans sa communauté, Vatche consacre une part importante de son temps au service de diverses associations et institutions : les Boy Scouts, le Club Rotary d’Oromocto en tant que secrétaire, le Programme de soutien aux familles de militaires et la Chambre de commerce d’Oromocto et des environs.

 

En 1999, suite à l’arrivée de plus d’un millier de réfugiés kosovars à Gagetown, dans le Nouveau-Brunswick, Vatche, qui est aussi bénévole à la Croix-Rouge canadienne depuis 1991, collabore pendant trois mois à un programme d’assistance aux réfugiés mis en place par la Société nationale. Dans la foulée, lui qui ne connaît que trop bien les difficultés de l’immigration prend sous son aile un jeune Kosovar qu’il aidera à s’adapter à sa nouvelle vie au Canada, et avec qui il maintiendra un contact régulier au fil des ans.

 

Cette expérience aux côtés des réfugiés kosovars, les « invités », comme il se plaisait à les appeler, l’amène à se tourner vers le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Toujours en 1999, il suit le cours de formation de base pour délégués internationaux à Montpellier, au Québec. Cette même année, mettant en avant ses compétences d’officier dans l’armée et de logisticien, la Croix-Rouge canadienne propose les services de Vatche au CICR, qui l’engage immédiatement. C’est ainsi qu’en janvier 2000, pour sa première mission, il est envoyé à Soukhoumi, en Abkhazie (Géorgie).

 

Sur place, en tant que délégué logisticien, il dirige une équipe de 43 personnes – chauffeurs, magasiniers, mécaniciens et agents de terrain. Ensemble, ils acheminent chaque mois pas moins de 5000 tonnes de secours dans toute la région. Vatche aime son travail. Toujours concentré sur les tâches à accomplir et très à la hauteur de ses responsabilités, il n’en entretient pas moins des rapports de bonne camaraderie avec ses subordonnés. Il se révèle être un chef d’équipe d’une grande ouverture, très à l’écoute des autres et d’une intégrité à toute épreuve. Fervent combattant de l’injustice et de la cruauté, c’est au contact direct avec les personnes auxquelles l’institution vient en aide qu’il s’épanouit pleinement. Il ne cache par ailleurs pas sa fierté de faire partie de la grande famille de la Croix-Rouge. Bien qu’engagé par le CICR, il restera toujours fidèle à la Croix-Rouge canadienne, dont il continuera à porter invariablement l’uniforme.

 

En juillet 2001, Vatche change d’affectation et part pour Bagdad, en Irak. En sa qualité de responsable de la logistique, il a à gérer une flotte de 65 véhicules, une quarantaine d’employés et cinq entrepôts répartis entre la capitale, le nord et le sud du pays. Avec son équipe, il soutient de vastes programmes humanitaires axés sur la distribution de vivres, d’eau, de fournitures médicales et d’autres biens de première nécessité, partout en Irak. Il est aussi amené à beaucoup se déplacer et visite régulièrement les sous-délégations du CICR à Basra et Erbil, ainsi que ses bureaux de Dohouk et de Soulaimaniyah. En janvier 2002, il participe au rapatriement d’Iran de 700 prisonniers de guerre irakiens. Il en parlera plus tard comme d’une expérience « poignante, très riche en émotions, mais profondément gratifiante », certaines de ces personnes ayant passé jusqu’à 20 ans de leur existence en détention.

 

Comme lors de sa première mission pour le CICR, Vatche s’intègre aisément à la vie de la délégation de Bagdad et s’y fait vite beaucoup d’amis. Bon communicateur, il est soucieux de créer un environnement de travail stimulant pour les membres de son équipe, au bien-être de laquelle il veille en permanence. Le fait qu’il parle couramment l’arabe est en outre un atout considérable. Lorsque ses collègues ont besoin d’un traducteur pour les opérations de rapatriement ou les visites de centres de détention, il répond à chaque fois présent. Sur son bureau trône en évidence un bulldozer miniature, comme pour lui rappeler la mission qui est la sienne et la nécessité de foncer sans jamais reculer devant les obstacles.

 

Tandis que la menace de la guerre plane sur l’Irak, Vatche accepte de prolonger son contrat et choisit de rester sur place auprès des membres de son équipe. Pas question de se défiler : il y a encore beaucoup à faire et la population irakienne a besoin d’eux. Lorsque la guerre éclate, le 20 mars 2003, il est parmi les rares collaborateurs expatriés du CICR à ne pas avoir quitté le pays. Le 8 avril, Bagdad est le théâtre d’intenses combats, les forces de la coalition menée par les États-Unis ayant lancé une offensive d’envergure pour le contrôle de la capitale. Après une longue journée de travail, Vatche propose à l’un de ses collègues de le ramener chez lui, à l’autre bout de la ville ; juste pour lui rendre service. En chemin, leur véhicule, clairement marqué du logo du CICR, se retrouve pris entre des feux croisés. Vatche est mortellement touché. À 48 ans, il s’en va avec, sur le dos, le t-shirt de la Croix-Rouge canadienne dont il ne se séparait jamais. Son collègue survit, mais une dizaine de civils sont tués dans l’incident, dans lequel plusieurs autres véhicules se retrouvent aussi impliqués. La ville tombe le jour suivant.

 

Kate Wood, vice-présidente de la Croix-Rouge canadienne, dira à la cérémonie organisée en sa mémoire que Vatche « incarnait l’esprit et les valeurs fondamentales à la fois du Canada et du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ». Et de conclure : « Si nous ne retenions que trois qualités pour décrire cet humanitaire dans l’âme, ce serait avant tout la sympathie, l’humilité et la compassion. »

 

Une stèle à la mémoire de Vatche a été inaugurée à la délégation du CICR à Bagdad en mai 2003.

Le CICR en
Irak, 2003

Fin mars 2003, une force militaire de coalition dirigée par les États-Unis envahit l’Irak et occupe provisoirement le pays après avoir provoqué la chute du gouvernement du président Saddam Hussein. Le 1er mai, les forces de la coalition annoncent la fin des opérations de combat à grande échelle. Cependant, vers la fin de l’année, ces mêmes forces sont la cible d’attaques armées de plus en plus nombreuses. Dans ce contexte, les activités d’assistance en Irak subissent un grave revers, lorsqu’une série d’attaques délibérées font plusieurs morts dans les rangs des humanitaires. Le CICR perd quatre collaborateurs, dont Vatche, dans trois incidents distincts. De nombreuses organisations de secours se retirent du pays, mais le CICR décide de poursuivre sa mission humanitaire. Les risques qui prévalent contraignent cependant l’institution à réduire temporairement ses effectifs et à revoir ses modes opératoires.

 

Cette année-là, au plus fort du conflit, la priorité est donnée à l’approvisionnement en matériel médical de 65 hôpitaux urbains et à la maintenance d’installations vitales d’eau, d’assainissement et d’électricité, dont dépendent des millions de personnes dans le pays. Le CICR fournit également des vivres, de l’eau et des abris aux personnes déplacées ainsi qu’aux institutions sociales telles que les orphelinats et les foyers accueillant des personnes âgées et des handicapés. Les délégués du CICR rendent visite à plus de 11 000 prisonniers de guerre et internés civils. Par ailleurs, un mécanisme est mis en place pour permettre aux membres des milliers de familles dispersées par le conflit de rétablir le contact avec leurs proches.

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